Genèse d’un pari industriel et sportif
C’est un pari à la fois audacieux et historique : pour la première fois de son histoire, Audi participera au Championnat du Monde de Formule 1 à partir de 2026 avec sa propre équipe d’usine et un groupe motopropulseur développé à Neuburg, en Allemagne. Ce projet, présenté comme un « engagement à long terme » par la direction, s’inscrit dans la transformation globale de la marque.
Le constructeur ne laisse aucune ambiguïté : « Le projet Formule 1 est un projet stratégique qui met en avant le renouveau technologique, culturel et entrepreneurial de la marque, ainsi que sa nouvelle philosophie de design. » L’entrée dans la catégorie reine du sport automobile n’est donc pas un simple prolongement de l’héritage du Mans ou du DTM : elle symbolise la volonté d’Audi d’affirmer son leadership technologique mondial, à travers un sport devenu vitrine du développement durable.

Le moment choisi n’a rien du hasard. À partir de 2026, la F1 introduira une réglementation moteur profondément renouvelée, avec des carburants 100 % durables et une part électrique portée à près de 50 % de la puissance totale. Dans ces conditions, Audi a estimé que « le moment est idéal pour rejoindre la course en tant que constructeur avec sa propre équipe d’usine ».
L’histoire d’Audi dans le sport automobile est marquée par les révolutions techniques. Depuis le rallye quattro de 1981, symbole d’une ère nouvelle, jusqu’aux victoires hybrides au Mans et à la première victoire électrifiée au Dakar en 2024, la marque a toujours utilisé la compétition comme laboratoire.
« Le sport automobile fait partie de l’ADN d’Audi et a toujours été le moteur du progrès technologique et de l’innovation », rappelle le PDG Gernot Döllner.
Cette nouvelle aventure, bien plus qu’une opération marketing, s’inscrit dans la continuité de la devise « Vorsprung durch Technik » – l’avance par la technologie. Mais cette fois, la marque veut aussi prouver qu’elle peut rivaliser avec les plus grands dans le domaine le plus concurrentiel du sport automobile mondial.
Audi a choisi d’entrer avec une vision claire : une équipe intégrée, un moteur maison, et une structure pensée pour durer. Le programme est massif, étalé sur plusieurs années, avec une feuille de route qui vise la lutte pour les titres mondiaux d’ici 2030.
Pour Döllner, cette échéance n’est pas symbolique : « Nous n’entrons pas en Formule 1 juste pour être présents. Nous voulons gagner. Mais nous savons qu’on ne devient pas une équipe de pointe du jour au lendemain. Il faut du temps, de la persévérance et remettre sans cesse en question le statu quo. »

Une alliance stratégique : Audi et Sauber, l’union de la rigueur et du savoir-faire
Pour s’installer durablement en Formule 1, Audi avait besoin d’un partenaire expérimenté, capable d’apporter un savoir-faire opérationnel immédiat. Ce partenaire s’appelle Sauber, pilier suisse du championnat depuis plus de 30 ans.
Dès octobre 2022, Audi confirme sa prise de participation dans Sauber, puis finalise la reprise complète du groupe au début de 2025. Cette fusion marque la naissance d’un ensemble structuré autour de trois sites : Neuburg an der Donau pour la motorisation, Hinwil pour le châssis et les opérations en piste, et un bureau technologique à Bicester (Angleterre), au cœur de la “Motorsport Valley”.
« Une seule équipe avec une vision claire », résume Mattia Binotto, nommé Chief Technical Officer du projet après son départ de Ferrari. L’ingénieur italien, fort de 25 ans d’expérience à Maranello, est désormais chargé de la coordination technique entre les trois sites. À ses côtés, Jonathan Wheatley, ex-Red Bull Racing, assure le rôle de Team Principal, garantissant le lien avec la FIA, les partenaires et les équipes sur le terrain.
« La Formule 1 n’est pas seulement une question de technologie, c’est une question d’état d’esprit, de concentration, de résilience et de confiance sans complaisance », souligne Wheatley.
Son objectif est de construire une culture d’équipe à la fois exigeante et ouverte : « Les équipes championnes ne reposent pas sur la magie — elles sont construites par des personnes qui croient, qui croient les unes dans les autres et dans le processus. »
Le choix de Sauber est aussi un symbole. Cette structure, forte d’une soufflerie ultramoderne à Hinwil, d’une expérience ininterrompue depuis 1992, et d’une tradition d’indépendance, représente un ancrage stable pour Audi. « Nous avons décidé d’aller plus vite et plus loin que prévu », précise le dossier : la reprise complète a été anticipée pour garantir la cohérence industrielle du programme avant 2026.
À Neuburg, Audi a fondé Audi Formula Racing GmbH (AFR), véritable cœur technique du projet. Les installations abritent 22 bancs d’essais ultramodernes et un bâtiment flambant neuf de 3 000 m², alimenté par une énergie neutre en CO₂. Le site est déjà certifié ISO 14001 et ISO 50001, une première dans l’histoire récente d’un constructeur en F1.

Cette triple implantation illustre la stratégie “One Team” : une intégration totale entre le moteur, le châssis et la stratégie opérationnelle. Binotto et Wheatley s’y appuient sur une philosophie claire : faire de la F1 une vitrine de la transformation interne d’Audi. « Ce projet doit devenir un symbole d’une nouvelle culture de la performance », peut-on lire.
Et le message est aussi adressé à l’interne : « Pour tous les employés de l’entreprise, l’engagement en Formule 1 doit créer de la fierté, de l’identité et de l’enthousiasme. »
Le défi technologique : un laboratoire du futur
L’unité motrice Audi F1, développée à Neuburg, représente le cœur battant du projet. Ce moteur, conforme à la réglementation FIA 2026, associera un V6 turbo hybride de 1,6 litre à un système électrique de 350 kW — une puissance équivalente au moteur thermique.
Audi revendique son héritage d’innovateur : « Le groupe motopropulseur hybride Audi F1 ‘made in Germany’ doit poursuivre la revendication de la marque ‘Vorsprung durch Technik’ dans le sommet du sport automobile. »
Le programme de développement a débuté dès 2022, et seulement deux ans plus tard, le groupe motopropulseur complet a été testé sur banc d’essai. Audi a d’ailleurs confié à Neel Jani et Zane Maloney le rôle de pilotes simulateur, pour corréler les modèles numériques au comportement réel du moteur.
Mais la clé du succès se trouve aussi dans les partenariats. Depuis 2022, Audi collabore exclusivement avec bp et sa marque Castrol pour concevoir des carburants synthétiques neutres en carbone et des lubrifiants haute performance. « Les carburants pour la Formule 1 pourraient devenir un facteur différenciant et concurrentiel », souligne le dossier, reconnaissant que tous les constructeurs entrent en « terrain inconnu » avec cette nouvelle réglementation.
En matière d’énergie, le futur groupe propulseur fera la part belle à la récupération d’énergie. L’unité MGU-K, désormais trois fois plus puissante qu’auparavant, sera un levier majeur de performance et de stratégie en course.

Côté châssis, la Formule 1 de 2026 marquera une rupture : empattement réduit, poids allégé, aérodynamique active et nouvelle interaction entre les ailerons avant et arrière pour favoriser les dépassements. Les voitures seront plus petites, plus légères et plus agiles, avec un gain en efficacité énergétique et une gestion de puissance plus dynamique grâce à des modes de “boost” électrique.
Mattia Binotto résume ce défi : « Le parcours demande du temps, les bonnes personnes et un état d’esprit d’amélioration continue. Les erreurs sont inévitables, mais apprendre d’elles est ce qui pousse à la transformation. »
L’ensemble s’inscrit dans un cadre économique inédit pour la F1 : le plafond budgétaire, étendu depuis 2023 aux groupes motopropulseurs, garantit une planification financière rigoureuse. Une condition essentielle pour Audi, qui voit dans ce contexte « une opportunité de développement rationnelle et durable ».
La F1 reste, « le laboratoire d’essai le plus exigeant au monde ». Et Audi compte bien en faire son terrain de démonstration. « Les cycles de développement courts, la chaîne de commandement minimale et les décisions rapides doivent servir de modèle pour l’ensemble de l’entreprise. »
2026 et au-delà : Audi, entre rêve et réalité du paddock
L’entrée officielle est programmée pour mars 2026 au Grand Prix d’Australie, après des essais à Barcelone et Bahreïn. La première monoplace Audi Formula 1 sera dévoilée en janvier de la même année, dans une livrée mêlant titane, noir carbone et rouge Audi, reprenant les codes du concept R26 présenté à Munich à l’automne 2025.
Cette identité visuelle traduit la philosophie d’Audi : « Clair, technique, intelligent et émotionnel. » Les célèbres quatre anneaux seront déclinés en version rouge pour souligner la modernité du projet. L’équipe veut avoir, selon ses propres mots, « la voiture la plus remarquable sur la piste ».
Côté pilotes, Audi mise sur un duo équilibré : Nico Hülkenberg, vétéran de 250 Grands Prix et symbole de la rigueur allemande, aux côtés du jeune Brésilien Gabriel Bortoleto, champion F3 et F2 consécutif avant ses débuts en F1. « Faire partie d’Audi, c’est comme un rêve devenu réalité », confie Bortoleto.
« Nous vivrons chaque moment ensemble, les hauts et les bas, jusqu’à devenir une équipe gagnante. »
Hülkenberg partage la même ambition :
« L’énergie et les ambitions de l’équipe sont impressionnantes. 2026 sera un nouveau départ pour tout le monde : nouvelles règles, nouvelles voitures, et nouvelles opportunités. C’est une page blanche, et c’est là que réside l’opportunité de construire quelque chose de spécial sur le long terme. »
Les partenaires stratégiques complètent le dispositif : BP pour les carburants, adidas pour les équipements, et Revolut comme partenaire titre à partir de 2026, un signe de modernité et d’ouverture vers de nouveaux publics. L’entrée de la Qatar Investment Authority (QIA) comme investisseur renforce la stabilité financière de l’ensemble.



Sur le plan médiatique, Audi sait qu’elle arrive dans une F1 en pleine expansion : 1,6 milliard de téléspectateurs, 6,5 millions de spectateurs sur les circuits et une audience jeune en pleine croissance. « Avec l’énorme portée de la Formule 1, nous avons l’opportunité d’attirer de nouveaux clients pour notre marque », note Jürgen Rittersberger, directeur financier d’Audi AG.
Mais au-delà de l’exposition, l’objectif reste clair : gagner. « L’ambition est de se battre pour les championnats d’ici 2030 », répète Binotto. Un cap précis, qui sera atteint en plusieurs phases : challenger, compétiteur, puis champion.
L’avance par la technologie, réinventée
Dans l’univers souvent cynique de la Formule 1 moderne, le projet Audi F1 fait figure d’acte de foi industriel. Là où d’autres voient un risque financier ou une guerre d’ego, Audi voit une plateforme d’innovation, de culture et de fierté.
Le pari d’Ingolstadt est clair : démontrer que la performance et la durabilité peuvent coexister, et que la Formule 1 peut redevenir un terrain d’avant-garde. « Nous écrivons un nouveau chapitre pour Audi », résumait Gernot Döllner.
Ce chapitre, encore vierge sur le plan sportif, est déjà une réussite stratégique. Audi a bâti son projet sur la cohérence, la méthode et l’ambition à long terme. Mais le vrai test commencera sur la piste, face à Mercedes, Ferrari et Red Bull des noms qui incarnent depuis toujours la démesure et l’excellence.
La marque aux anneaux, elle, avance avec un credo hérité du siècle dernier : « Vorsprung durch Technik », l’avance par la technologie. Et en 2026, c’est dans le vacarme des moteurs hybrides, sous les projecteurs de Melbourne, que l’on saura si cette avance peut enfin se mesurer à la seconde près.













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