Un pari industriel et sportif à haut risque
Le constructeur allemand Audi se prépare à faire un saut spectaculaire dans l’univers de la Formule 1, avec pour objectif de devenir, à l’horizon 2026, un acteur majeur et compétitif du championnat du monde. Ce projet a été mené avec l’acquisition complète de Sauber F1 Team et la mise en place d’une structure “usine” : recrutement à haut niveau, plan de montée en puissance, nouveau moteur. Comme l’a souligné le directeur général d’Audi,
Gernot Döllner : « Motorsport et Audi s’accordent parfaitement, et cela va également dynamiser notre organisation… De la technologie, vous apprenez surtout que l’efficacité est une question clé en Formule 1 et l’efficacité est un sujet majeur dans nos produits grand public. Mais ce que nous apprenons le plus, c’est le leadership et l’équipe, comment la vitesse est organisée, comment la prise de décision rapide est organisée. »
Cette déclaration met en lumière que l’enjeu ne se limite pas à la performance en piste mais couvre aussi une logique de culture d’entreprise et d’industrialisation. Döllner n’a pas caché que, dans ses fonctions antérieures au sein du groupe, il était quelque peu sceptique quant à une entrée en F1 :
« Oui, vous avez raison. Dans mon rôle de responsable stratégie du groupe Volkswagen, j’étais assez sceptique quant à la Formule 1. »
Mais, après une revue complète, la décision fut prise :
« Nous avons regardé et vu que notre approche n’était pas assez forte. La Formule 1 : il y a deux façons de la faire. On la fait bien ou on se retire. Il n’y a pas de demi-mesure, car à mi-chemin on est à l’arrière. »
Ce changement marque une prise de conscience : soit Audi va investir massivement pour viser l’avant-garde, soit le projet resterait au rang des outsiders.
Le contexte ne manque pas de difficultés : la filiale F1 est encore de taille modeste (environ 700 personnes) comparée aux géants dépassant régulièrement les 1 100 collaborateurs. Le temps est donc compté et la marge d’erreur réduite.

Le moteur, enjeu technique et l’ombre d’un retard de puissance
Le cœur du défi se situe techniquement au niveau du groupe motopropulseur 2026 l’un des deux piliers majeurs du règlement à venir, l’autre étant le châssis. À ce titre, le directeur d’équipe désigné pour le passage usine,
Jonathan Wheatley, ne cache pas la charge opérationnelle et l’urgence interne : « Je suis très à l’aise dans le rôle que j’occupe actuellement, c’est une opportunité incroyable. Je suis tellement excité par le projet. »
Il ajoute :
« On ne va pas faire les choses pour faire du chiffre. Je crois absolument que nous serons sur cette trajectoire, et nous gagnerons des courses et des championnats. »
Cependant, cette ambition coexiste avec des signaux d’alerte : selon plusieurs analyses techniques, Audi afficherait un déficit estimé pouvant aller jusqu’à 20-30 chevaux (par rapport aux meilleures unités) lors des tests sur banc. Ce retard potentiel, bien qu’évoqué non pas par Audi mais par des sources externes, soulève des questions sur la compétitivité immédiate de l’équipe à l’entrée 2026.
Face à cette situation, Wheatley joue la carte de la prudence et privilégie la fiabilité avant une chasse à la performance maximale :
« Nous sommes dans une situation de lutte chaque week-end… je cherche que nous nous améliorions constamment. »
Le paradoxe est clair : l’équipe doit à la fois rattraper un retard présumé tout en ne pouvant pas se permettre d’accumuler des pannes ou des erreurs de concept.
Cette stratégie peut se comprendre : dans une discipline où le moteur, l’aérodynamique, l’énergie hybride et le carburant sont intimement liés, viser l’attaque totale dès la première seconde serait risqué. Mais cela implique aussi que le projet Audi pourrait démarrer en montée de régime, plutôt qu’en fusée immédiate. Or, dans une formule où chaque dixième compte, un déficit de 20-30 chevaux pourrait se traduire par un handicap tangible au tour et donc sur la grille de départ.
À cela s’ajoutent les défis organisationnels hérités de Sauber : l’équipe suisse, longtemps structure indépendante, opérait avec des ressources limitées par rapport aux géants de l’écurie. Audi doit désormais transformer, réorganiser, et intégrer ses ressources moteurs, châssis et logistiques dans un tout cohérent. Ce chantier interne est tout aussi critique que la pure ingénierie.
Wheatley le reconnaît :
« On a un chemin ambitieux devant nous. Cette réglementation technique est une opportunité. Mais il est clair que nous partons d’assez loin. »
Le mot « fist-fight » (combat rapproché) utilisé par lui reflète bien que chaque course sera une bataille avant que le terrain gagne en clarté.

Conclusion
Audi a pris le virage F1 avec un sérieux et une ambition indéniables, soutenus par un plan industriel cohérent, des recrutements clés et un soutien financier solide. Les mots de Gernot Döllner et Jonathan Wheatley traduisent à la fois une confiance mesurée et un pacte avec l’effort à venir. Toutefois, dans un univers ultra-compétitif comme la Formule 1, la marge d’erreur est faible. Le déficit de performance moteur encore évoqué, combiné aux lenteurs potentielles d’intégration organisationnelle, impose à Audi de développer une allonge progressive plutôt que d’espérer l’explosion immédiate. Le vrai test aura lieu sur la piste à partir de 2026 : l’écurie devra démontrer que son entrée n’est pas un pari sur l’image, mais un engagement sur le terrain.
Si elle parvient à aligner moteur, châssis, structure et culture d’équipe, alors le projet Audi pourrait bien devenir un acteur crédible à terme. Sinon : la Formule 1 pourrait rappeler que “mi-mesure” rime avec l’arrière-groupe, comme l’a prévenu lui-même Döllner.





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