« Race for Glory: Audi vs Lancia » – Une reconstitution romancée d’une guerre mécanique mythique

Le film « Race for Glory: Audi vs Lancia », réalisé par Stefano Mordini, dépeint la légendaire saison 1983 du Championnat du Monde des Rallyes (WRC), où deux titans de l’industrie automobile (Audi et Lancia) se livrèrent une bataille mémorable. Le film ambitionne de retracer cette compétition technique et humaine, mais mêle réalité historique et libertés artistiques. Cette critique s’adresse aux passionnés d’automobile, cinéphiles et amateurs de sport auto en quête de véracité.

Un contexte historique réel : Audi Quattro vs Lancia 037

La toile de fond de « Race for Glory » repose sur l’un des chapitres les plus fascinants de l’histoire du sport automobile : la saison 1983 du WRC. L’époque est marquée par une révolution technologique, incarnée par l’Audi Quattro et sa transmission intégrale, une innovation qui bouleverse le monde du rallye. Audi, pionnier dans cette approche, bouscule les standards établis, notamment grâce à l’engagement de pilotes d’exception comme Michèle Mouton, Hannu Mikkola et Stig Blomqvist.

Face à cette avancée, Lancia prend un pari audacieux : engager une voiture à propulsion, la 037, conçue pour être la plus légère et agile possible. Cette stratégie défie la logique technologique dominante. Le personnage de Cesare Fiorio, joué avec conviction par Riccardo Scamarcio, reflète ce défi constant aux règles établies, fidèle à l’image réelle du directeur sportif de Lancia à l’époque.

Le film parvient à illustrer avec justesse le contexte industriel et réglementaire. On y voit Fiorio contourner les contraintes d’homologation du Groupe B en produisant à peine plus de 100 unités de la 037, un clin d’œil précis aux pratiques de l’époque. Walter Röhrl, engagé ponctuellement, devient une arme tactique. Son rôle dans les victoires à Monte-Carlo ou en Grèce est capital pour Lancia. Cette fidélité factuelle est sans doute l’un des plus grands mérites du film, offrant au spectateur une base réaliste pour comprendre les enjeux sportifs de l’époque.

Les critiques des pilotes réels : Walter Röhrl dénonce une fiction déformante

L’un des points les plus sensibles dans l’accueil du film par les puristes est la réaction de Walter Röhrl lui-même. Pilote légendaire, double champion du monde, Röhrl a publiquement critiqué le film pour sa représentation romancée. Il a déclaré n’avoir jamais été consulté, et a vivement dénoncé la caricature qu’on fait de lui à l’écran. Dans le film, il est montré comme un homme reclus, apiculteur, en retrait du monde du sport une image totalement opposée à la réalité de l’époque.

En 1983, Röhrl était au sommet de son art. S’il n’a disputé que quelques rallyes cette saison-là, c’était par choix stratégique, non par retrait spirituel ou dédain. Son implication avec Lancia visait à maximiser les points sur les épreuves les plus favorables à la 037. Il a notamment dominé le Rallye Monte-Carlo avec une démonstration technique impressionnante.

Les critiques de Röhrl sont justifiées : la création d’un personnage mélancolique et isolé sert peut-être la dramaturgie, mais elle trahit la personnalité d’un homme profondément analytique, exigeant, et surtout compétitif. Ces écarts ne passent pas inaperçus dans la communauté des fans. D’autres personnalités du sport automobile, comme Cesare Fiorio, ont également dénoncé l’introduction de personnages fictifs tels que la nutritionniste Jane McCoy ou le pilote imaginaire Ugo Kurt. Fiorio a précisé que ces ajouts n’ont jamais existé dans l’organigramme de Lancia, pointant du doigt un embellissement hollywoodien injustifié.

Une fiction assumée, mais problématique pour l’histoire du rallye

Le choix de mêler fiction et faits historiques n’est pas nouveau dans le cinéma. Cependant, dans un film qui prétend relater une saison aussi précise et documentée que celle du WRC 1983, les libertés narratives prennent une dimension problématique. L’introduction de personnages fictifs – Jane McCoy, nutritionniste innovante, ou Ugo Kurt, jeune talent brisé – permet certes de nourrir le suspense, mais vient brouiller les repères des spectateurs avertis.

Ces éléments de fiction ne servent pas l’histoire réelle : ils en détournent même le sens. Par exemple, Ugo Kurt est présenté comme une figure centrale du destin de Lancia, alors qu’aucun pilote de cette nature n’a jamais existé dans l’équipe. Cette manipulation nuit à l’équilibre entre vérité historique et divertissement. Elle crée une illusion de profondeur émotionnelle là où les drames réels auraient suffi à captiver.

Le film prend également des libertés avec la chronologie : il suggère que Röhrl aurait quitté puis rejoint Lancia, ce qui est inexact. En vérité, Röhrl avait un contrat spécifique pour certaines épreuves, une stratégie clairement définie dès le début de la saison. Le scénario transforme cette réalité en un arc dramatique artificiel, ce qui altère la compréhension des choix tactiques de Lancia.

Ainsi, bien que le film revendique une part de fiction, il aurait gagné à mieux équilibrer le récit. Les passionnés d’automobile, souvent bien renseignés, auraient préféré une tension dramatique fondée sur les nombreux conflits, épreuves et décisions réelles qui ont marqué cette saison d’anthologie.

Esthétique et authenticité visuelle : un régal pour les yeux

Sur le plan visuel, « Race for Glory » séduit par sa rigueur esthétique. Le soin apporté aux décors, aux costumes, et surtout aux véhicules est remarquable. Les voitures utilisées sont de véritables Audi Quattro et Lancia 037, restaurées ou fidèlement reproduites. Les scènes de paddock, les ateliers mécaniques et les briefings d’équipe sont reconstitués avec minutie, donnant au spectateur une immersion réaliste dans l’univers du rallye Groupe B.

L’usage limité des effets spéciaux numériques renforce cette immersion. Les séquences de course sont tournées en extérieur, avec des véhicules en mouvement réel, ce qui confère une authenticité bienvenue dans un genre souvent dominé par l’imagerie de synthèse. Ce choix artistique rapproche le film de la tradition européenne du cinéma automobile, plus soucieuse de réalisme que de spectaculaire hollywoodien.

Cependant, ce parti pris visuel n’est pas exempt de défauts. Le montage des courses manque parfois de souffle. Trop de plans serrés sur les visages ou les mains au volant empêchent de ressentir pleinement la vitesse, la dangerosité et la complexité des tracés. Comparé à des références comme « Rush » ou même « Le Mans ‘66 », « Race for Glory » peine à transmettre l’intensité émotionnelle et physique des spéciales.

Malgré ces réserves, la direction artistique du film reste une réussite. Pour les amateurs de belles mécaniques, les détails apportés aux bolides, aux combinaisons, aux logos d’époque ou encore à la bande-son font mouche. Le film parvient à recréer l’atmosphère d’une époque charnière, où l’innovation technique côtoyait encore une forme de romantisme mécanique.

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