César Muntada, l’architecte de la lumière chez Audi

Quel est votre meilleur souvenir avec la marque ? 

C’est le moment où j’ai compris ce qu’était Audi. C’était à Barcelone, en Espagne, on avait une maison de vacances dans une vallée, et à un moment on entend un bruit anormal, avec une poussière qui se soulevait au loin. C’était une voiture argentée, une Audi quattro, avec son 5 cylindres. Mon oncle venait d’acheter cette voiture, et il m’a immédiatement emmené faire un tour.

J’étais un grand lecteur de Sport Auto, je l’achetais chaque mois, et à ce moment-là, j’ai remplacé mes posters de F1 par des images de l’Audi quattro.

Quelle voiture vous a le plus marqué par son design ?

La première Audi TT. À cette époque, je travaillais en France, et on était choqués par ce modèle. Elle représentait tout ce qu’on voulait faire dans le monde du design, appliqué à une voiture.

Et si je reviens à mon enfance, à mes rêves, c’était la Lancia Stratos Zero, le showcar. J’ai eu la chance de la revoir des années plus tard et de m’asseoir dedans, c’est vraiment un modèle représentant le futur.

Est-ce que la technologie OLED va encore évoluer ?

Toutes les technologies évoluent. Certaines disparaissent, souvent remplacées par quelque chose de nouveau. On a eu l’occasion de montrer les futures avancées à la presse récemment : notamment l’OLED flexible avec des pixels de plus en plus petits. Et ceci n’est que le commencement : on peut imaginer des OLED multicolores. 

C’est une technologie encore jeune, peu développée dans le monde automobile, mais elle a un très beau futur.

Audi SQ6 e-tron

On voit une identité e-tron différente des modèles thermiques, est-ce que ce sera toujours le cas ?

D’abord, cette différence s’explique par des éléments techniques : des entrées d’air par exemple, nécessaires pour refroidir un moteur thermique. Et pour les modèles électriques, les batteries doivent être placées dans le châssis, et l’aérodynamique a pris une place encore plus importante pour l’efficience et l’aéro-acoustique.

Les modèles 100% électriques nous permettent de créer des esthétiques nouvelles. Par exemple pour le design des feux : rappelez-vous de la première Audi e-tron, nous avons mis des segments horizontaux pour montrer que l’on peut visualiser la lumière comme un équaliseur et illustrer le silence. Cette esthétique a évolué vers un langage horizontal, unifié pour toutes les Audi. Actuellement, les feux avant et arrière suive la même philosophie esthétique et technique, le tout basé sur la digitalisation. Ils sont tout de suite reconnaissable come des détails 100% Audi.

Les feux sont de plus interactifs, notamment avec la prévention des dangers pour les autres usagers. Quelles sont les nouvelles avancées d’Audi dans ce domaine ?

La lumière est l’essence même de la vie et de notre vision, elle raconte beaucoup de choses. Quand on conduit une voiture, on veut la meilleure vision, mais pour Audi, nous souhaitons aller plus loin et renforcer le caractère social de nos éléments lumineux. 

Un premier exemple : les feux Matrix LED, qui éclairent très fort, mais qui savent d’eux-mêmes se masquer pour les autres usagers. Nous avons toujours en tête ce concept social, y compris dans la communication.

Avec des véhicules de plus en plus intelligents, nous pouvons améliorer les situations autour de nous, on peut partager de l’information. Par exemple avec l’affichage du tapis lumineux et le rappel de clignotant vers l’avant pour éviter les accidents, ou les feux arrière Digital OLED 2.0, qui montre un triangle vers l’arrière quand la voiture a reconnu en avance un possible danger.

La prochaine étape, c’est de faire ça tout autour du véhicule, en réfléchissant à quels sont les éléments essentiels pour communiquer avec les autres, sans les distraire.

Rear light with digital OLED* technology 2.0

Cela nous rappelle le concept Audi Elaine, avec une projection des passages piétons

Chez Audi, nous sommes les innovateurs No. 1 dans le monde de la lumière. Nous devons sans cesse expliquer nos nouvelles technologies et en quoi elles sont créées pour le progrès général. C’est seulement à ce moment-là que les autorités acceptent leur implémentation.

La projection des passages piétons a soulevé d’autres problématiques : seules les autorités (maires, responsables de communes ou force de l’ordre) peuvent décider de l’emplacement d’un passage piétons. Nous avons donc trouvé pour l’Audi Elaine une autre manière de communiquer aux piétons qu’ils doivent s’arrêter ou passer : une “barrière” lumineuse.

Comment définissez-vous votre vision du design lumineux chez Audi ?

Il est très difficile de définir cette vision avec une seule parole. La lumière est si complexe et globale qu’elle possède un grand nombre de facettes. Même en utilisant le principe de Bauhaus : “Form Follows Function”, ça serait réducteur. 

Notre vision de la lumière chez Audi est pour moi un mélange de 3 éléments : le principe de Bauhaus “Less is more”, celui de Buckminster Fuller “More from less” et celui de Dieter Rams “Less but better”. Ce dernier principe est très important : on peut réduire, on peut faire beaucoup, mais si ça n’apporte rien, ce n’est pas du progrès. 

D’où vient votre inspiration pour les signatures lumineuses ?

Quand on est designer, il faut avoir les yeux ouverts. L’inspiration peut venir de partout. Certains se laissent inspirer par des objets, des voyages, des commentaires, des livres, des formes de nos voitures. Nous sommes tous les jours confrontés à la lumière, elle change constamment le monde, l’esthétique des objets.

Mon inspiration seule est importante, mais elle le devient encore plus une fois partagée en équipe. Il faut savoir mélanger les inspirations et comprendre celles des autres pour créer quelque chose de fort. On part toujours de quelque chose et c’est le partage des inspirations qui permet de trouver des innovations. Quand un designer décrit sa vision pour une Signature il faut tout d’abord savoir écouter

Avec mon équipe, on mange ensemble très régulièrement, et nos conversations sont hétéroclites, c’est cette richesse qui nous inspire, et notre curiosité nous amène toujours sur de nouveaux terrains esthétiques. 

Quel est votre processus créatif pour concevoir un nouveau design lumineux ?

C’est un mélange de beaucoup de choses. J’ai étudié le design à Coventry et au début de mes études, je ne parlais pas bien Anglais. Je me souviens d’un exercice où il fallait dessiner un téléphone, mais j’avais mal compris et j’ai fini par m’inspirer  d’autres éléments que ceux purement électroniques. A la fin, mon téléphone n’était pas comme les autres. C’est à ce moment que j’ai compris qu’il fallait toujours penser différemment, ne pas céder à la facilité.

Je demande toujours à mon équipe de chercher de nouvelles voies. Ce qui ne nous empêche pas d’observer et de travailler sur des technologies existantes que l’on décortique. C’est d’ailleurs l’ADN d’Audi “Vorsprung durch Technik” : nous aimons la technologie et c’est grâce à elle que l’on progresse.

Évidemment, à un moment, on confronte nos idées aux ingénieurs pour étudier la faisabilité. C’est un processus complexe, mais nous devons sans cesse partager avec toutes les entités de l’entreprise pour faire vivre nos idées.

Y a-t-il une signature lumineuse dont vous êtes particulièrement fier ?

La signature de l’Audi TT de 3ème génération est la signature analogique que je préfère. Elle fait partie du passé, mais elle signe un très beau lien avec le temps ou Audi été présente aux 24 H du Mans . 

Mais désormais nous sommes dans le monde digital, et la signature numérique active, celle qui bouge en permanence, est ma préférée. Cette signature raconte l’évolution de l’automobile et des modèles Audi. Nous sommes entrés dans le monde digital, et il faut le montrer. Cette signature montre que la voiture calcule en permanence et réfléchit à son environnement, elle est comme un cerveau. Seul Audi a une telle signature lumineuse. Nous sommes vraiment fiers de cette signature.

Comment travaillez-vous avec les équipes du design extérieur pour intégrer les lumières à la sculpture du véhicule ?

Le processus est classique. Pour mettre au point une automobile, les étapes n’ont pas beaucoup évolué. Le designer extérieur crée une forme, il souhaite une position des éléments, une certaine proportion, et nous y amenons notre vision.

Nous devons petit à petit marier nos idées, notre design avec les attentes des équipes du design extérieur. C’est étape par étape et avec beaucoup de patience, que l’on réussit ce processus, en prenant toujours en compte l’ensemble du véhicule.

L’intégration des écrans et des ergonomies associées ont nécessité de repenser les projets de design intérieur ?

L’intérieur d’une voiture est très intéressant. C’est très fonctionnel : il faut guider, changer les vitesses, accélérer, freiner … c’est très défini, dans un espace proportionné à la distance des bras et des jambes.

Avec les écrans, la rupture a été marquante, et on peut faire un parallèle avec notre vie quotidienne. Il y a plusieurs dizaines d’années, la télévision a bouleversé les habitudes, elle rassemblait toute la famille qui la regardait avec attention. Maintenant, malgré une télévision toujours plus grande, chaque membre de la famille ne prête plus la même attention. Chacun a son écran, et chacun s’informe ou se divertit avec son appareil personnel.

Ce monde est rentré dans la voiture avec les écrans, c’est un vrai miroir de la société. Il nous faut redéfinir le sens de chaque écran. La question qui pourrait se poser c’est : ne va-t-on pas trop loin ? Là encore notre travail est de gérer la taille des écrans, leur luminosité pour définir l’architecture intérieure. Nous devons faire en sorte que les personnes dans les voitures y soient aussi à l’aise que chez eux.

Pensez-vous que l’éclairage pourrait refléter l’état émotionnel du conducteur ?

En fait nous le faisons déjà via les signatures lumineuses. Avec nos amis, on communique déjà facilement notre humeur et via la possibilité de choisir sa signature, on peut par exemple montrer notre état d’esprit. 

Et même si en tant qu’être humain, on interprète notre monde et on voit des visages partout, nous ne ferons jamais de voiture comme dans “Cars”

Sur l’Audi Q6 e-tron, on a découvert la personnalisation des lumières, verra-t-on ça dans tous les modèles ?

Chez Audi, nous ne travaillons rien pour une seule voiture. Quand nous sommes convaincus d’un progrès, nous cherchons à le déployer sur toutes les gammes, encore plus quand nous parlons de lumière, qui fait partie de l’ADN d’Audi.

Nous travaillons pour des usagers dans tout le monde, et les individus cherchent à s’identifier à certaines marques, de manière différente pour chacun. Avec la personnalisation, nous avons réussi à infuser une forte appartenance à la marque, tout en permettant aux conducteurs d’y inclure une partie d’eux.

A quoi ressemblera l’éclairage automobile dans 15 ans ? Va-t-on vivre des ruptures technologiques ?

Pour moi, la lumière doit être intelligente comme la nature. Elle doit nous inspirer et nous raconter des choses. Cependant, il faut comprendre que la lumière est un problème quand elle gêne, s’il y en a trop, ou si elle est mal placée, on doit donc la contrôler.

Aujourd’hui, la lumière est fonctionnelle, elle doit devenir intelligente et communicante.

Vous êtes artiste et designer, qu’est-ce qui vous a attiré vers la lumière ?

Je viens de Barcelone. En Méditerranée, il y a beaucoup de lumière, beaucoup d’ombres. On peut vivre beaucoup de contrastes dans la même journée. Mon père est architecte, et il m’a expliqué l’importance de la lumière pour l’être humain dans un espace de vie et son influence sur le caractère. Il m’a également éduqué sur le design et le jeu qui en découle. 

Je suis né à la fin des années 60, et j’ai également été bercé dans l’évolution de l’électronique, du jeu vidéo. Je suis également fan de photographie et de cinéma, qui sont deux arts dédiés à la captation de la lumière. Deux long-métrages m’ont particulièrement marqué : 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrik et Tron, avec ses motos néons que je rêvais de recréer.

Ma vie, l’architecture, le design, l’électronique, le film, c’est tout ça qui m’a amené au métier que j’exerce aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre travail quotidien chez Audi ?

C’est créer le futur. Le “Vorsprung” d’Audi, ce n’est pas un petit pas, c’est un bond. Avec une bonne vision, on peut créer un monde meilleur. 

Chez Audi, nous nous focalisons vers l’avenir, on travaille toujours pour la prochaine étape, pour aller de l’avant. Audi est une marque qui sait d’où elle vient, mais nous sommes dédiés chaque jour à innover.

Dans les années 70, Xerox a créé le Palo Alto Research Center, le PARC, un bâtiment uniquement dédié à trouver des innovations pour l’avenir.

C’est clairement aussi l’esprit Audi, nous avons une vision du futur, et nous travaillons chaque jour pour l’atteindre. Ce n’est pas toujours les jours facile, mais on est convaincus que l’on peut réussir.

L’Audi Q8 et l’Audi A8 possèdent des feux digitaux, pourquoi être passé directement à l’Audi Q3 pour continuer le déploiement de cette technologie ?

On sait que cette technologie est une technologie d’avenir. Nous l’avons faite évoluer en passant aux micro-LEDs, que l’on a pu intégrer dans un nouveau bloc adapté à l’Audi Q3. Il nous faut encore travailler pour l’intégrer au plus juste dans tous les autres modèles. 

The illustration shows one of the digital Matrix LED headlight’s advanced traffic information functions, where a symbol is projected onto the road in the driver’s line of sight.

Les feux avant de les nouvelles Audi A6 thermiques possèdent une grille en aluminium devant la signature lumineuse, pourquoi ?

Dans le monde de la lumière, parfois on voit la source, parfois non. Nous avons démarré avec l’Audi Q4 e-tron un travail avec de l’inox pour créer un nouveau design, qui fait penser à ses stores, pour faire disparaître la source quand on regarde les feux de côté.

Pour l’Audi A6, le but est de cacher la source, pour que les personnes ne comprennent pas ce qui se cache derrière. Mais c’est aussi un clin d’œil au passé, car à l’origine les feux étaient protégés par des grilles, comme au Rallye par exemple.

Nous tenons à remercier chaleureusement Cesar Muntada pour avoir partager ce moment d’échange plein de passion et de motivation.

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