Audi change de cap : la fin du tout électrique et le retour en force du thermique

Pendant des années, Audi a martelé avec enthousiasme son engagement total vers une électrification complète de sa gamme. L’objectif semblait clair et irrévocable : plus aucun moteur thermique d’ici 2033. Mais les vents de l’industrie automobile ont tourné, et le constructeur aux quatre anneaux vient de freiner net. Fini le virage tout électrique. Place à la flexibilité. Traduction : Audi ne renonce pas aux voitures électriques, mais abandonne le calendrier rigide et s’ouvre à un avenir où toutes les motorisations resteront possibles.

Ce retournement stratégique, loin d’être isolé, reflète un mouvement général dans l’industrie. Après avoir fanfaronné sur l’électrique dans les années post-Covid, beaucoup de constructeurs redécouvrent que la conversion massive du parc automobile mondial n’est pas un long fleuve tranquille. Les coûts de production, la lenteur des infrastructures de recharge et l’appétit inégal des clients pour les véhicules à batterie tempèrent les ambitions. Ce que l’on promettait hier sur PowerPoint paraît aujourd’hui bien plus incertain.

Gernot Döllner
Gernot Döllner

Un changement de cap assumé

À la tête d’Audi depuis septembre 2023, Gernot Döllner assume pleinement ce virage. Lors d’un entretien exclusif, il a déclaré que les objectifs fixés par l’ancienne direction n’étaient plus adaptés à la réalité du marché. « Ce n’est pas parce qu’une stratégie a été décidée il y a trois ans qu’elle est gravée dans le marbre. Nous voulons garder toutes les cartes en main », explique-t-il. Résultat : la dernière Audi 100 % thermique, initialement prévue pour 2026, n’arrivera pas seule. Une nouvelle gamme complète de moteurs thermiques et hybrides rechargeables sera lancée dès 2025.

Parmi les modèles phares de cette relance thermique, une Audi RS 6 hybride rechargeable est déjà en préparation au sein de la division Audi Sport, preuve que les passionnés de performances et de sensations mécaniques n’ont pas dit leur dernier mot. Et lorsqu’on l’interroge sur une éventuelle résurrection de la R8 ou de la mythique TT, Döllner entretient habilement le suspense : « On pense à tout. Laissez-vous surprendre. » Une déclaration qui, dans le langage des constructeurs, signifie souvent : nous y travaillons, mais nous attendons de voir si le marché le validera.

Le pragmatisme avant l’idéologie

L’analyse de Gernot Döllner est sans ambiguïté : l’électrique va continuer à se développer, mais pas au rythme qu’espéraient les prévisions les plus optimistes. Le PDG insiste sur le coût total d’utilisation, qui reste une barrière importante dans certains pays, notamment là où l’électricité est chère ou les infrastructures insuffisantes. Même si en Europe, les coûts d’usage d’un véhicule électrique sont désormais proches de ceux d’un thermique, l’accès au réseau de recharge et la peur de manquer d’autonomie continuent de freiner une partie de la clientèle.

Cette prise de conscience pousse Audi à se démarquer des discours radicaux de certains concurrents. La marque continuera certes d’étoffer sa gamme électrique – notamment avec une future compacte de la taille d’une A3 prévue pour l’année prochaine – mais ne suivra pas la voie des modèles ultra-compacts électriques du groupe Volkswagen comme l’ID.2, la Skoda Epic ou la Cupra Raval. « Audi doit rester positionnée sur le segment premium, même pour ses petits modèles », rappelle Döllner.

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L’offensive produit : l’heure de la reconquête

Entre 2024 et 2026, Audi lancera une vingtaine de nouveaux modèles : électriques, hybrides et thermiques. Un choix dicté autant par la nécessité de rajeunir la gamme – actuellement l’une des plus anciennes du marché premium – que par la volonté de répondre à la diversité des marchés mondiaux.

Le PDG annonce que d’ici fin 2026, Audi atteindra un rythme de croisière de deux nouveaux modèles par an. Ce rajeunissement accéléré intervient après des retards de développement liés aux problèmes de l’architecture électronique, en particulier sur le Q6 e-tron.

Sur le plan financier, l’année 2024 a marqué un recul important : chiffre d’affaires en baisse de 8 % (64,5 milliards d’euros) et bénéfice opérationnel en chute de 38 % (3,9 milliards). Mais Audi prévoit un rebond dès 2025, avec un chiffre d’affaires compris entre 67,5 et 72,5 milliards d’euros, et une marge opérationnelle entre 7 et 9 %.

Pour y parvenir, Döllner mise sur la restructuration en profondeur de l’entreprise : fermeture de l’usine de Bruxelles, suppression de 7 500 postes d’ici 2027, et réinvestissement massif de 8 milliards d’euros dans les sites allemands. Une stratégie pragmatique pour regagner en compétitivité face à une concurrence de plus en plus agressive, notamment celle des constructeurs chinois.

La Chine et les États-Unis : deux piliers stratégiques

Audi ne cache pas son ambition de reconquérir la Chine, où la marque a perdu du terrain ces dernières années. Pour s’adapter aux spécificités locales, Audi a lancé une marque distincte en partenariat avec SAIC, exclusivement destinée au marché chinois. Cette nouvelle entité produira des véhicules spécifiquement conçus pour la clientèle locale, intégrés dans l’écosystème technologique chinois. Le premier modèle, l’AUDI E5 Sportback, arrivera en septembre 2025.

Aux États-Unis, Audi fait face à des droits de douane de 27,5 % sur les véhicules fabriqués au Mexique et en Europe. Un coup dur pour des modèles comme le Q5, produit à Puebla. Pour sécuriser sa présence sur le marché américain, Audi envisage désormais de produire localement, soit en s’appuyant sur les usines existantes du groupe Volkswagen, soit en construisant une nouvelle usine. Et malgré l’incertitude politique, Döllner insiste : « Ce choix est une décision stratégique à long terme, pas une réponse conjoncturelle aux politiques de Donald Trump. »

Formule 1 : vitrine technologique et marketing mondial

Audi a également décidé de s’investir massivement en Formule 1, avec une entrée prévue en 2026 via l’acquisition complète de l’équipe Sauber. Ce projet s’accompagne de la nomination de figures prestigieuses comme Jonathan Wheatley et Mattia Binotto à la tête de l’écurie.

Pourquoi un tel investissement ? Döllner y voit un laboratoire de technologie et une vitrine marketing exceptionnelle: « La Formule 1 est regardée par plus d’un milliard de personnes chaque semaine. C’est un levier puissant pour promouvoir la précision, la vitesse et l’efficience qui définissent Audi. » Une stratégie qui, au-delà de l’image sportive, servira aussi à accélérer le développement de technologies pour les véhicules électriques et hybrides.

From the left: Gernot Döllner, CEO of AUDI AG and Chairman of the Board of Directors of Sauber Motorsport AG; Jürgen Rittersberger, Member of the Board of Management of AUDI AG, responsible for Finance, Legal Affairs and IT, Member of the Board of Directors of Sauber Motorsport AG and Chairman of the Shareholders’ Meeting of Audi Formula Racing GmbH; Mattia Binotto, Chief Operating Officer (COO) and Chief Technical Officer (CTO) of Sauber Motorsport AG

La guerre du logiciel : Audi prend le contrôle

Dans la bataille qui oppose les constructeurs sur le terrain du logiciel, Audi se positionne comme le futur chef de file du groupe Volkswagen. La marque dirigera le développement de la nouvelle architecture électronique et logicielle, notamment la plateforme SSP (Scalable Systems Platform), qui devait initialement être dédiée aux véhicules électriques, mais qui sera finalement compatible avec toutes les motorisations. « Pourquoi choisir quand on peut tout faire ? » s’amuse Döllner.

En partenariat avec la start-up américaine Rivian, Audi prépare une nouvelle génération de véhicules définis par logiciel, avec un accent fort sur la conduite automatisée, le stationnement intelligent et l’expérience utilisateur enrichie. L’intelligence artificielle jouera un rôle clé dans cette transformation, que ce soit pour l’apprentissage des comportements de conduite ou pour fluidifier l’interaction homme-machine.

Cockpit

Un retour aux fondamentaux

Au fond, ce virage stratégique d’Audi traduit un retour au pragmatisme industriel. L’électrique reste au cœur du plan de développement, mais sans dogmatisme. La marque veut désormais offrir une flexibilité maximale pour s’adapter aux réalités fluctuantes des marchés mondiaux.

La décision de ne pas couper court aux moteurs thermiques rassure les clients traditionnels et surtout les actionnaires, qui redoutaient que les investissements massifs dans l’électrique ne produisent pas les rendements escomptés. Avec cette stratégie hybride, Audi espère retrouver son équilibre entre innovation technologique, solidité industrielle et rentabilité financière.

Une industrie en transition

Le cas Audi illustre une tendance de fond dans l’industrie automobile : la transition électrique ne sera ni aussi rapide, ni aussi linéaire que prévu. Entre infrastructures encore incomplètes, résistance des consommateurs et incertitudes économiques, les constructeurs réévaluent leurs plans et misent de plus en plus sur la diversification plutôt que sur l’exclusivité électrique.

Audi, comme beaucoup de ses concurrents, adopte une position pragmatique : ne pas s’enfermer dans une technologie unique et garder toutes les options ouvertes. Ce repositionnement flexible pourrait bien être la clé pour affronter les prochaines années de turbulence dans l’automobile mondiale.

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